Q4 "Are these exercises safe?" ------->

Luckily, the answer is yes – these exercises are completely safe as long as you follow main safety rules (as with any other exercise program): Starting slow and steady is crucial. Never skip warming up and warming down phases. You need to pay attention to the physiological processes and indicators your body shows to you (weak morning erections, soreness, red spots – all signs you should not train that hard).


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Exo 3 "The Circular Rotation"

follow these steps:

Use your right hand to bring your dick outwards.
Grasp your glans firmly but gently.
Then you need to start stretching and rotate your little buddy at the same time.
You should do this for 30 seconds for clockwise direction.
Then you can switch your hands (if you want to) and repeat that movement for another 30 seconds in the counter-clockwise direction.
All this makes for one session, and you can do five a day.

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You might want to check out my list of best selling pills that will help you make your /
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What is the ideal penis size?



It's the question that men have been asking themselves for all eternity - what is the ideal penis size?

Now researchers at the University of New Mexico and the University of California claim to have found the answer to what women want.

In a groundbreaking study, the researchers used 3D models of erect phalluses to characterise women's penis size preferences for the first time.


75 women took part in the study, ranging in age from 18 to 65. They were California residents, sexually experienced, currently in a sexual relationship, and had had sex recently.

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Chapitre vingt-cinq

Le lendemain matin, je me suis réveillée en panique. J’avais rêvé que j’étais seule au milieu d’un immense lac, sans bateau. Je me suis redressée d’un coup en bataillant avec le BiPAP, j’ai senti les mains de Maman sur mon bras.

– Bonjour, ça va ?

J’avais le cœur qui battait à tout rompre, mais j’ai dit oui. – Il y a Kaitlyn pour toi au téléphone.

Je lui ai montré le BiPAP, elle m’a aidée à retirer le masque, puis elle m’a branchée sur Philip et

j’ai pu enfin prendre mon portable.

– Salut Kaitlyn.

– Je t’appelais juste pour vérifier, pour voir comment tu allais. – Merci, c’est sympa. Je vais pas mal, ai-je répondu.

– Tu n’as vraiment pas eu de chance, ma chérie. C’est extravagant. – Sans doute, ai-je dit.

Je ne me posais plus trop de questions sur ma chance. À vrai dire, je n’avais pas très envie de

parler avec Kaitlyn, mais elle persistait à faire durer la conversation.

– Alors c’était comment ? a-t-elle demandé. – Voir son copain mourir ? Euh, nul. – Non. Être amoureuse.

– Ah, ai-je dit. C’était… sympa de passer du temps avec quelqu’un d’aussi intéressant. On était très différents, on n’était pas d’accord sur plein de trucs, mais je ne m’ennuyais jamais avec lui, tu vois ce que je veux dire ?

– Hélas, non. Les garçons avec qui je sors sont affreusement ennuyeux.

– Ce n’était pas le mec parfait ni le Prince charmant des contes de fées, ni rien. Il essayait parfois

de l’être, mais j’aimais moins quand il était comme ça, je le préférais nature.

– Tu as des photos de lui, des lettres, un album de souvenirs ?

– J’ai quelques photos, mais il ne m’a pas vraiment écrit de lettres. Il manque des pages dans son carnet et je crois qu’elles m’étaient destinées, mais il a dû les jeter, ou elles ont été perdues, je ne sais pas.

– Il te les a peut-être envoyées par la poste, a-t-elle dit. – Non, je les aurais déjà reçues.

– Alors peut-être qu’elles n’étaient pas pour toi. Peut-être… Je ne veux pas te miner ni rien, mais

il se peut qu’il les ait écrites pour quelqu’un d’autre et qu’il les a ait envoyées à…

– VAN HOUTEN ! ai-je crié. – Ça va ? Tu as toussé ?

– Kaitlyn, je t’adore. Tu es un génie. Il faut que j’y aille.

J’ai raccroché, je me suis retournée pour prendre mon ordinateur portable sous mon lit, je l’ai

allumé et j’ai envoyé un e-mail à lidewij.vliegenthart.

Lidewij,

J’ai de bonnes raisons de penser qu’Augustus Waters a envoyé des pages de son carnet à Peter Van Houten peu avant sa mort (celle d’Augustus). Il est très important que quelqu’un lise ces pages. J’ai évidemment envie de les lire, mais elles n’ont peut-être pas été écrites pour moi. Quoi qu’il en soit,

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elles doivent être lues, il le faut absolument.

Pouvez-vous m’aider ?

Avec toute mon amitié, Hazel Grace Lancaster

Elle m’a répondu en fin d’après-midi.

Chère Hazel,

J’ignorais qu’Augustus était mort. Cette nouvelle me remplit de tristesse. C’était un jeune homme

au charme éblouissant. Je suis vraiment désolée et tellement triste.

Je n’ai pas parlé à Peter depuis que j’ai démissionné, le jour de notre rencontre. Ici, c’est la nuit, mais dès demain matin, j’irai chez lui pour trouver la lettre d’Augustus et obliger Peter à la lire. En général, c’est le matin qu’il est le plus en forme.

Avec toute mon amitié, Lidewij Vliegenthart

P-S : J’irai avec mon compagnon au cas où il faudrait maîtriser Peter.

Je me suis demandé pourquoi, dans les derniers jours, Gus avait préféré écrire à Van Houten, l’informant qu’il lui offrait son pardon contre ma fameuse suite, plutôt que de m’écrire. Peut-être que, dans les pages arrachées, il ne faisait que réitérer sa requête. C’était plausible. Il avait pu mettre son état dans la balance pour que mon rêve se réalise. Obtenir la fin d’ Une impériale affliction était une cause dérisoire pour laquelle mourir, mais c’était la plus glorieuse qu’il lui restait.

Ce soir-là, j’ai passé mon temps à vérifier si j’avais des e-mails, puis j’ai dormi quelques heures, et vers 5 h du matin, j’ai recommencé à guetter. Mais rien n’arrivait. J’ai essayé de regarder la télé pour me distraire, mais mes pensées revenaient sans cesse à Amsterdam. J’imaginais Lidewij Vliegenthart et son petit ami traverser la ville à vélo pour accomplir la folle mission qui consistait à retrouver la dernière lettre d’un adolescent mort. J’aurais adoré rebondir sur le porte-bagages du vélo de Lidewij Vliegenthart filant par les rues pavées, le vent m’aurait souffler les boucles rousses de la jeune femme au visage, l’odeur des canaux et de la fumée de cigarettes me serait parvenue par bouffées, les gens auraient bu de la bière à la terrasse des cafés en prononçant leur « r » et leur « g » d’une façon que je n’apprendrais jamais.

L’avenir me manquait. Je savais, bien sûr, même avant sa rechute que je ne vieillirais pas avec Augustus Waters. Mais en pensant à Lidewij et à son petit ami, j’ai eu le sentiment d’avoir été dépossédée. Je ne reverrai sans doute jamais plus l’océan d’un hublot à neuf mille mètres d’altitude, de si haut qu’on ne distingue plus ni les vagues ni les bateaux et que l’océan ressemble à un monolithe splendide et interminable. Je pouvais l’imaginer. Je pouvais m’en souvenir. Mais je ne pourrais pas le revoir. J’ai compris alors que les hommes ne peuvent se satisfaire de rêves réalisés, car il reste toujours l’idée que tout peut être refait, en mieux.

Cela doit même être vrai si on vit jusqu’à quatre-vingt-dix ans – il n’empêche que je suis jalouse de ceux qui en feront eux-mêmes l’expérience. D’un autre côté, j’avais déjà vécu deux fois plus longtemps que la fille de Van Houten. Que n’aurait-il pas donné pour avoir une enfant qui vive jusqu’à seize ans ?

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Soudain, Maman s’est dressée entre la télé et moi, les mains croisées derrière le dos. – Hazel, a-t-elle dit d’un ton sérieux qui m’a inquiétée. – Oui ?

– Tu sais quel jour on est ?

– Ce n’est pas mon anniversaire quand même ? Elle a ri.

– Non pas encore. On est le 14 juillet, Hazel ! – C’est ton anniversaire ? – Non…

– C’est l’anniversaire d’Harry Houdini ? – Non.

– Je donne ma langue au chat.

– C’EST LE JOUR DE LA PRISE DE LA BASTILLE !

Elle a brandi les deux petits drapeaux français en plastique qu’elle cachait derrière son dos et les a

agités frénétiquement.

– On dirait un faux truc, comme la journée de sensibilisation au choléra.

– Sais-tu, Hazel, qu’il y a deux cent vingt-trois ans aujourd’hui, le peuple de France déferlait sur la

prison de la Bastille pour prendre les armes et réclamer la liberté ?

– Ouah, ai-je dit. Ça se fête !

– Il se trouve que j’ai justement prévu un pique-nique avec ton père à Holliday Park.

Elle ne se décourageait jamais, ma mère. Je me suis levée du canapé et, ensemble, on a préparé quelques sandwichs, puis on les a empilés dans un panier poussiéreux déniché dans le placard à balais de l’entrée.

C’était une assez belle journée, digne d’un véritable été à Indianapolis, chaud et humide – le genre de temps qui, après un long hiver, vous rappelle que si le monde n’a pas été conçu pour les hommes, les hommes ont été conçus pour le monde. Papa, en costume clair, nous attendait sur une place de parking réservée aux personnes handicapées en pianotant sur son portable. Il a agité la main le temps qu’on se gare, puis il m’a embrassée.

– Quelle journée, a-t-il dit. Si on vivait en Californie, on aurait ce temps-là tous les jours. – Oui, mais tu ne l’apprécierais pas autant, a dit Maman. Elle avait tort, mais je ne l’ai pas corrigée.

On a fini par étaler notre couverture au pied des Ruines, cet étrange rectangle de ruines romaines qui, à Indianapolis, est posé en plein milieu d’une prairie. En fait, ce sont des copies érigées il y a quatre-vingts ans, mais ces fausses ruines ont été si peu entretenues qu’elles sont devenues de vraies ruines sans le faire exprès. Elles auraient plu à Van Houten, et à Gus, aussi.

On s’est assis à l’ombre des Ruines et on a mangé. – Tu veux de la crème solaire ? a demandé Maman. – Non, ça va, merci, ai-je répondu.

On entendait le vent dans le feuillage des arbres, et les cris des enfants qui jouaient dans l’aire de jeux un peu plus loin. Des gamins qui faisaient l’apprentissage de la vie, qui comprenaient comment s’orienter dans un monde qui n’était pas conçu pour eux en expérimentant dans une aire de jeux qui, elle, était conçue pour eux. Papa m’a surprise en train de regarder les enfants.

– Ça te manque de courir comme ça ? – Parfois, oui.

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Mais je ne pensais pas à ça. Je m’efforçais juste de m’imprégner de tout : la lumière sur les Ruines, un enfant qui marchait à peine et venait de découvrir un bâton dans un coin de l’aire de jeux, mon infatigable mère qui dessinait des zigzags de moutarde sur son sandwich à la dinde, mon père qui tapotait son portable dans sa poche en résistant à l’envie de le consulter, un type qui lançait un frisbee et son chien qui en suivait la course avant de le rapporter à son maître.

Qui suis-je pour dire que ces choses pourraient ne pas durer éternellement ? Qui est Peter Van Houten pour assurer que le travail de l’homme est éphémère ? Tout ce que je sais du paradis et de la mort est là, dans ce parc : un univers élégant en mouvement perpétuel, grouillant de ruines croulantes et d’enfants qui crient.

Mon père était en train d’agiter la main devant mon visage. – Reviens parmi nous, Hazel. Tu es là ? – Pardon, oui. Qu’est-ce qu’il y a ? – Maman propose d’aller voir Gus. – Oh. Oui, ai-je dit.

Et donc, après déjeuner, on est allés au cimetière de Crown Hill, la dernière demeure de trois vice-présidents, d’un président, et d’Augustus Waters. On a roulé jusqu’au sommet de la colline et on

s’est garés. Derrière nous, les voitures fonçaient sur la 38 e Rue. La tombe de Gus était facile à

trouver : c’était celle qui avait été fraîchement retournée. La terre était toujours entassée au-dessus de son cercueil, la pierre tombale n’avait pas encore été posée.

Je n’ai pas senti sa présence ni rien, mais j’ai quand même pris un des petits drapeaux débiles de ma mère et je l’ai planté au pied de sa tombe. Peut-être que des passants imagineraient qu’un soldat de la Légion étrangère ou je ne sais quel mercenaire héroïque était enterré là.



Lidewij m’a finalement répondu juste après 18 heures. J’étais sur le canapé en train de regarder la télé en même temps que des vidéos sur mon ordinateur portable. J’ai tout de suite vu qu’il y avait quatre pièces jointes, je mourais d’envie de les ouvrir, mais j’ai résisté à la tentation et j’ai lu l’e- mail d’abord.

Chère Hazel,

Peter était extrêmement soûl lorsque nous sommes arrivés chez lui ce matin, mais, d’une certaine façon, cela nous a facilité la tâche. Bas (mon compagnon) l’a occupé pendant que je fouillais les sacs-poubelle dans lesquels Peter conserve le courrier de ses fans. Puis je me suis rappelé qu’Augustus connaissait l’adresse de Peter. Il y avait une énorme pile de lettres sur la table du salon, au milieu de laquelle j’ai très vite trouvé celle d’Augustus. Je l’ai ouverte et j’ai constaté qu’elle était adressée à Peter, alors je lui ai demandé de la lire. Il a refusé.

À ce stade, j’étais très en colère, Hazel. Mais au lieu de lui crier dessus, je lui ai dit qu’il devait

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lire la lettre de ce garçon disparu en hommage à sa fille défunte, qu’il le lui devait. Je lui ai alors donné la lettre et il l’a lue en entier, puis il a dit – je le cite : « Envoyez ça à la fille et dites-lui que je n’ai rien à ajouter. »

Je n’ai pas lu la lettre, mais mes yeux sont tombés sur certaines phrases alors que je scannais les pages. Je vous les mets ici en pièces jointes et je vous les enverrai aussi par la poste à votre adresse personnelle. Elle n’a pas changé ?

Que Dieu vous garde, Hazel.

Avec toute mon amitié, Lidewij Vliegenthart

J’ai ouvert les quatre pièces jointes. L’écriture de Gus était brouillonne, elle penchait sur le côté, la taille des lettres et la couleur du stylo variait. Il avait visiblement écrit dans un état de conscience fluctuant, sur plusieurs jours.

Van Houten,

Je suis quelqu’un de bien, mais j’écris comme un pied. Vous n’êtes pas quelqu’un de bien, mais vous écrivez remarquablement. On aurait fait une bonne équipe. Je ne veux pas vous demander ça comme un service mais, si vous avez du temps – et d’après ce que j’ai constaté, vous en avez beaucoup –, je me demandais si vous pouviez écrire l’éloge funèbre d’Hazel. J’ai pris des notes, mais j’aimerais que vous en fassiez quelque chose de cohérent ou même que vous m’indiquiez ce que je dois changer.

Le truc important chez Hazel, c’est ça : à peu près tout le monde est obsédé par l’idée de laisser une trace derrière soi, de léguer un héritage, de survivre à sa mort, de marquer les mémoires. Je n’échappe pas à cette règle. Ce qui m’inquiète le plus, c’est de devenir une énième victime oubliée de cette vieille guerre sans gloire contre la maladie.

Je veux laisser une trace.

Sauf que, Van Houten, les traces que les hommes laissent sont trop souvent des cicatrices. On construit un centre commercial hideux, on fomente un coup d’État, on devient une rock star en se disant : « On se souviendra de moi », mais a) on ne se souviendra pas de nous et b) on ne laisse derrière nous que de nouvelles cicatrices. Le coup d’État mène à une dictature, le centre commercial devient une lésion urbaine.

(D’accord, je n’écris peut-être pas si mal que ça. Mais je n’arrive pas à rassembler mes idées,

Van Houten. Mes pensées sont des étoiles qui ne veulent plus former de constellation.)

Nous sommes comme une meute de chiens qui pissent sur les bouches d’incendie. On empoisonne la terre avec notre pisse toxique, pour marquer « À moi » partout et sur tout, dans l’espoir ridicule de survivre à notre mort. Je ne peux pas m’empêcher de pisser sur les bouches d’incendie. Je sais que c’est idiot et inutile – ô combien inutile dans mon état –, mais je suis un animal comme les autres.

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Hazel est différente. Elle se déplace avec légèreté, mec. Elle effleure le sol de ses pas. Hazel connaît la vérité : on a autant de chances de nuire à l’univers qu’on en a de l’aider, et on n’est pas près de faire ni l’un ni l’autre.

Certains pourraient trouver triste qu’elle laisse une plus petite cicatrice que les autres, qu’on se souvienne moins d’elle, qu’elle ait été aimée profondément mais par peu de gens. Mais ce n’est pas triste, Van Houten. C’est glorieux, c’est héroïque. N’est-ce pas justement ça le véritable héroïsme ? Comme disent les médecins : « Avant tout, ne pas nuire. »

De toute façon, les véritables héros ne sont pas les gens qui font les choses ; les véritables héros sont les gens qui remarquent les choses, qui y prêtent attention. Le type qui a inventé le vaccin contre la variole n’a rien inventé du tout. Il a juste remarqué que les gens qui avaient la variole bovine n’attrapaient pas la variole.

Après mon PET scan, quand j’ai su que j’avais des métastases partout, je me suis faufilé en douce dans le service des soins intensifs et je l’ai vue alors qu’elle était inconsciente. Je suis entré derrière une infirmière et j’ai réussi à rester dix minutes près d’elle avant de me faire choper. J’ai vraiment cru qu’elle allait mourir avant que je puisse lui dire que j’allais mourir aussi. C’était terrible : la litanie incessante des machines de soins intensifs, l’eau sombre et cancéreuse qui s’écoulait de son torse, ses yeux fermés, l’intubation, mais sa main restait sa main, toujours chaude, les ongles vernis en bleu foncé presque noir. Je lui ai tenu la main en essayant d’imaginer le monde sans nous. Et, l’espace d’une seconde, j’ai fait preuve d’assez d’humanité pour espérer qu’elle meure, afin qu’elle ne sache jamais que j’allais mourir aussi. Mais ensuite, j’ai voulu plus de temps pour qu’on puisse tomber amoureux l’un de l’autre. Mon vœu a été exaucé. J’ai laissé ma cicatrice.

Un infirmier est entré et m’a dit de partir, les visites n’étaient pas autorisées. Je lui ai demandé comment elle allait, et il a répondu : « Elle continue à prendre l’eau. » Une bénédiction pour un désert, une malédiction pour un océan.

Quoi d’autre ? Elle est si belle qu’on ne se lasse pas de la regarder. Ça ne vous ennuie jamais qu’elle soit plus intelligente que vous : parce que vous savez qu’elle l’est. Elle est drôle sans jamais être méchante. Je l’aime. J’ai tellement de chance de l’aimer, Van Houten. Dans ce monde, mec, ce n’est pas nous qui choisissons si on nous fait du mal ou non, en revanche on peut choisir qui nous fait du mal. J’aime mes choix. J’espère qu’elle aime les siens.

Je les aime, Augustus. Je les aime.

Chapitre quatre Ce soir-là, je me suis couchée tôt. J’ai enfilé un caleçon et un T-shirt, et je me suis glissée sous la couette, dans mon grand lit plein d’oreillers, un de mes endroits préférés au monde. Et j’ai relu Une impériale affliction pour la millionième fois. UIA raconte l’histoire d’Anna (c’est la narratrice) et de sa mère borgne, jardinière de métier, qui a une passion pour les tulipes. Elles ne sont ni riches ni pauvres et mènent une petite vie tranquille au cœur d’une ville modeste du centre de la Californie, jusqu’au jour où elles apprennent qu’Anna est atteinte d’un cancer du sang. Mais ce n’est pas un livre sur le cancer, je déteste les livres sur le cancer. Dans ces bouquins, vous pouvez être sûrs que le cancéreux crée une fondation destinée à rassembler des fonds pour la lutte contre le cancer. Puis, grâce à son engagement solidaire, il/elle prend conscience de la bonté fondamentale de l’homme et se sent aimé/e, soutenu/e. Tout ça parce qu’il/elle lègue de l’argent qui servira à la recherche contre le cancer. Mais dans UIA , Anna trouve que créer une fondation contre le cancer quand on a le cancer, ça frise le narcissisme. Alors, elle décide de créer une fondation qu’elle appelle Fondation Anna pour les Cancéreux qui veulent soigner le choléra. Et puis, elle fait preuve d’une honnêteté rarissime à propos de ce qu’elle vit : tout au long du livre, elle se désigne elle-même comme « un effet secondaire », ce qui est archi-juste. Après tout, les jeunes atteints d’un cancer sont les effets secondaires des mutations incessantes qui permettent la diversité de la vie sur terre. Au fil de l’histoire, Anna devient de plus en plus malade, les traitements et le cancer font la course pour savoir qui la tuera en premier. Et voilà que sa mère tombe amoureuse d’un négociant en tulipes hollandais qu’Anna appelle Monsieur Tulipe. Monsieur Tulipe a beaucoup d’argent et des idées extravagantes concernant le traitement du cancer, mais Anna le soupçonne d’être un escroc, voire même de ne pas être hollandais. Puis, au moment où Monsieur Tulipe et la mère d’Anna sont sur le point de se marier, et Anna sur le point de commencer un régime insensé à base d’herbe de blé et d’arsenic à doses infimes censé traiter son cancer, le livre s’arrête en plein milieu d’une Je reconnais qu’il s’agit d’un choix littéraire intéressant, qui n’est d’ailleurs pas étranger au fait que j’adore le livre, mais ce n’est quand même pas un hasard si d’habitude les livres ont une fin. Et s’ils ne peuvent pas en avoir, ils devraient au moins se poursuivre à l’infini comme les aventures du sergent-chef Max Mayhem. Je me doutais que si l’histoire d’ UIA s’arrêtait, c’était qu’Anna était morte ou trop malade pour écrire, et que la phrase restée en suspens reflétait la fin brutale de sa vie. Sauf qu’Anna n’était pas le seul personnage du livre, et ça me semblait donc injuste de ne pas savoir ce qui arrivait aux autres. J’avais écrit une douzaine de lettres à Peter Van Houten via son éditeur, dans lesquelles je lui demandais ce qui se passait après : Monsieur Tulipe était-il un escroc ? La mère d’Anna se mariait- elle avec lui ? Que devenait le hamster idiot d’Anna (que sa mère détestait) ? Les copines d’Anna obtenaient-elles leur bac ? Ce genre de trucs. Mais il ne m’a jamais répondu. Peter Van Houten n’a écrit aucun autre livre à part UIA et tout ce qu’on sait de lui, c’est qu’il a quitté les États-Unis et qu’il s’est installé aux Pays-Bas où il vit reclus. J’ai donc imaginé qu’il était en train d’écrire une suite dont l’action se situerait en Hollande : Monsieur Tulipe et la mère d’Anna déménagent aux Pays-Bas pour commencer une nouvelle vie. Mais ça faisait déjà dix ans qu’ Une impériale affliction avait paru et Van Houten n’avait rien publié depuis, même pas un malheureux post sur un blog. Je ne pouvais pas me permettre d’attendre indéfiniment. -----------------------------------------------------Page 23-----------------------------------------------------  J’étais constamment distraite de ma lecture par Augustus Waters que j’imaginais en train de lire les mêmes phrases que moi. Je me demandais si le livre lui plaisait ou s’il le trouvait prétentieux et l’avait abandonné. Puis je me suis rappelé que j’avais promis de l’appeler quand j’aurais fini Le Prix de l’aube . J’ai trouvé son numéro sur la page de garde et je lui ai envoyé un texto : Ma critique du Prix de l’aube : trop de cadavres, pas assez d’adjectifs. Comment tu trouves UIA ? Il m’a répondu dans la minute qui a suivi : Tu étais censée APPELER, pas m’envoyer un texto. Je l’ai donc appelé. – Hazel Grace, a-t-il dit en décrochant. – Alors, tu l’as lu ? – Je ne l’ai pas encore terminé. Il fait six cent cinquante et une pages et je n’ai eu que vingt-quatre heures. – Tu en es où ? – À la quatre cent cinquante et unième. – Et ? – Je réserve mon jugement pour la fin. N’empêche, je me sens nul de t’avoir prêté Le Prix de l’aube . – T’inquiète. J’ai déjà commencé Requiem pour Mayhem . – Une pépite de la série. Alors, dis-moi, le gars aux tulipes, c’est un sale type ? Je ne le sens pas. – Je ne te dirai rien, ai-je répondu. – Si ce mec se conduit mal, je lui arrache les yeux. – Tu es accro, on dirait. – Je ne te dirai rien ! Je peux te voir quand ? – Sûrement pas avant que tu aies fini Une impériale affliction . J’adorais me la jouer détachée. – Dans ce cas, je ferais mieux de me remettre à lire. – Tu as intérêt, ai-je répliqué, et il a raccroché sans un mot de plus. Flirter était un truc nouveau pour moi, mais j’aimais bien. Le lendemain, j’avais un cours sur la poésie américaine du XXe siècle. La vieille peau qui nous tenait lieu de prof a réussi à parler de Sylvia Plath pendant une heure sans citer un de ses vers. À la fin du cours, Maman m’attendait juste devant, dans la voiture. – Tu es restée tout le temps là ? ai-je demandé alors qu’elle se précipitait pour m’aider à mettre mon chariot et ma bombonne dans la voiture. – Non, je suis allée chercher du linge au pressing, puis je suis passée à la poste. – Et ensuite ? – J’avais pris un bouquin, a-t-elle répondu. – Et c’est moi qui dois profiter de la vie ! J’ai souri, et elle s’est efforcée de sourire aussi, mais son sourire était chancelant. – Tu veux qu’on aille au cinéma ? lui ai-je demandé. – Bien sûr. Il y a un film qui te tente ? – Et si on y allait au hasard voir le premier film qui passe ? -----------------------------------------------------Page 24-----------------------------------------------------  Ma mère a refermé la portière et fait le tour de la voiture pour prendre sa place derrière le volant. On est allées au cinéma du centre commercial où on a vu un film en 3D avec des gerbilles qui parlent. C’était assez drôle, en fait. En sortant du cinéma, j’avais quatre textos d’Augustus. Dis-moi qu’il manque vingt pages au bouquin, c’est pas possible ! Hazel Grace, rassure-moi : je n’ai pas fini le livre ? J’Y CROIS PAS ILS SE MARIENT OU PAS J’Y CROIS PAS C’EST QUOI CE TRUC ? J’imagine qu’Anna est morte et que le livre se termine à cause de ça ? C’est CRUEL. Appelle-moi quand tu peux. J’espère que tout va bien. Aussitôt à la maison, je suis sortie dans le jardin et je suis allée m’asseoir sur une vieille chaise rouillée à croisillons pour appeler Augustus. Le ciel était nuageux, un classique en Indiana, le genre de temps qui donne envie de rester chez soi. Ma vieille balançoire d’enfant trônait au fond du jardin, pitoyable et détrempée. À la troisième sonnerie, Augustus a décroché. – Hazel Grace, a-t-il dit. – Bienvenue chez les accros d’ Une impériale … Je me suis interrompue car, à l’autre bout du fil, j’entendais des sanglots violents. – Ça va ? ai-je demandé. – Super, a répondu Augustus. Je suis avec Isaac qui est en train de décompresser. En quelque sorte. De nouveaux gémissements ont retenti, qui m’ont fait penser aux cris d’agonie d’un animal blessé. Augustus a parlé à Isaac. – Mec, mec, si Hazel du groupe de soutien nous rejoint, c’est mieux ou c’est moins bien pour toi ? Isaac, regarde-moi ! Puis quelques instants après, il m’a demandé : – Tu peux être là d’ici vingt minutes ? – Bien sûr, ai-je répondu, et j’ai raccroché. Si j’avais pu rouler en ligne droite, j’aurais mis cinq minutes pour aller de chez moi à chez Augustus, mais ce n’était pas possible dans la mesure où il y avait Holliday Park en plein milieu du chemin. En dépit de son inconvénient géographique, j’aimais beaucoup Holliday Park. Quand j’étais petite, on allait faire trempette dans la White River avec mon père. J’adorais quand il me jetait en l’air loin de lui, je tendais les bras et il tendait les siens et on se faisait une peur délicieuse en voyant qu’on n’arriverait pas à se toucher, qu’il ne me rattraperait pas. Je tombais à l’eau en agitant les jambes, puis je remontais à la surface, saine et sauve, prendre un grand bol d’air. Le courant me repoussait alors vers lui et je criais : « Encore, Papa, encore ! » Je me suis garée dans l’allée à côté d’une vieille Toyota noire qui devait être celle d’Isaac. J’ai calé ma bombonne dans son chariot, puis j’ai marché jusqu’à la porte d’entrée et j’ai frappé. Le père de Gus m’a ouvert. -----------------------------------------------------Page 25-----------------------------------------------------  – Hazel-tout-court, a-t-il dit. Ravi de te revoir. – Augustus m’a proposé de passer. – Oui, ils sont au sous-sol avec Isaac, a-t-il précisé. Au même moment, un hurlement est monté des profondeurs de la maison. – C’est Isaac, a-t-il expliqué en secouant la tête. Cindy est allée faire un tour. Les pleurs… a-t-il dit en laissant sa phrase en suspens. Bref, tu es attendue en bas. Tu veux que je porte ta, euh, bombonne ? – Non, ça va aller. Merci quand même, monsieur Waters. – Mark. J’avais un peu la trouille de descendre. Écouter les gens hurler de douleur ne fait pas partie de mes passe-temps favoris. Mais je suis descendue quand même. – Hazel Grace, a dit Augustus en entendant mes pas. Isaac, Hazel-du-groupe-de-soutien est en train de descendre l’escalier. Hazel, un petit rappel amical : Isaac est en plein épisode psychotique. Assis dans des fauteuils confortables, Augustus et Isaac avaient les yeux rivés sur un téléviseur gargantuesque. L’écran était divisé en deux : le côté gauche montrait le point de vue d’Isaac, et le droit celui d’Augustus. Tous les deux étaient des soldats qui se battaient dans une ville bombardée. J’ai reconnu le décor du Prix de l’aube . En approchant, je n’ai rien remarqué de particulier : juste deux copains dans le halo lumineux d’une télé géante en train de faire semblant de tuer des gens. Ce n’est qu’une fois à la hauteur d’Isaac que j’ai aperçu son visage : un masque de douleur, un flot ininterrompu de larmes ruisselant sur ses joues rougies. Isaac avait les yeux fixés sur l’écran, il ne m’a même pas jeté un regard, il gémissait sans discontinuer tout en appuyant sur les touches de sa manette. – Comment ça va, Hazel ? a demandé Augustus. – Ça va, ai-je répondu. Isaac ? Pas de réponse, pas le moindre signe indiquant qu’il était conscient de ma présence. Isaac n’était plus que des larmes qui dégoulinaient de son visage sur son T-shirt noir. Augustus s’est tourné vers moi l’espace d’un millième de seconde. – Super jolie, ta tenue. Je portais une vieille robe qui m’arrivait au-dessus du genou. – Les filles croient toujours que les robes sont réservées aux grandes occasions, a poursuivi Augustus. Moi, j’aime la fille qui se dit : « Je vais voir un garçon en pleine dépression nerveuse, un garçon à deux doigts de perdre la vue, et je mets une robe en son honneur. » – Sauf qu’Isaac ne risque pas de me regarder, suis-je intervenue, il est trop amoureux de Monica. En entendant ma remarque, Isaac a sangloté de plus belle. – Sujet délicat, a dit Augustus en guise d’explication. Isaac, je ne sais pas toi, mais j’ai la vague impression qu’on est en train de se faire déborder. Puis à moi : – Ce n’est plus une affaire qui marche entre Isaac et Monica, mais Isaac ne veut pas en parler. Il veut juste pleurer et jouer à « Contre-Attaque 2 : Le Prix de l’aube ». – Je comprends. – Isaac, on est en mauvaise posture. Si tu es d’accord, fonce jusqu’à la centrale électrique, je te couvre. Isaac a couru en direction d’un bâtiment et Augustus a couru derrière lui en arrosant les alentours à la mitraillette. – Bref, a poursuivi Augustus à mon intention, ça ne peut pas lui faire de mal de lui parler. Peut-être -----------------------------------------------------Page 26-----------------------------------------------------  auras-tu quelques conseils avisés à lui donner. – Je trouve sa réaction plutôt saine, ai-je déclaré au moment où Isaac abattait un ennemi qui venait de pointer la tête derrière la carcasse fumante d’un pick-up. Augustus a indiqué l’écran d’un signe de tête. – La souffrance exige d’être ressentie, a-t-il dit. C’était une phrase tirée d’ Une impériale affliction . – Tu es sûr que personne ne nous suit ? a-t-il demandé à Isaac. Deux secondes plus tard, des balles traçantes sifflaient au-dessus de leurs têtes. – C’est pas vrai, Isaac ! s’est écrié Augustus. Ça m’ennuie de te faire des reproches dans un moment pareil, mais je te signale qu’à cause de toi on s’est fait doubler et que, maintenant, plus rien ne sépare les terroristes de l’école. Isaac a zigzagué vers la ligne de front en empruntant un passage étroit. – Vous pourriez aller au pont et les surprendre par-derrière, ai-je proposé – une tactique que j’avais apprise dans Le Prix de l’aube . Augustus a soupiré. – Le pont est déjà sous le contrôle des insurgés suite à la stratégie désastreuse de mon malheureux partenaire. – Moi ? a demandé Isaac dans un souffle. Moi ?! C’est toi qui as proposé qu’on se planque dans la centrale électrique. Gus a quitté l’écran des yeux une seconde et lui a fait un de ses célèbres sourires en coin. – Je savais bien que tu pouvais parler, mon pote, a-t-il dit. Allez ! Dépêchons-nous de sauver quelques gamins virtuels ! Isaac et Augustus ont couru le long du passage en tirant et en se cachant aux moments propices pour rejoindre une petite école. Après quoi, ils se sont accroupis derrière un muret de l’autre côté de la rue et ont descendu les ennemis un à un. – Pourquoi veulent-ils pénétrer à l’intérieur de l’école ? ai-je demandé. – Pour prendre les gosses en otage, a répondu Augustus. Le dos courbé, il malmenait sa manette, bras tendus, les veines saillantes. Isaac était lui aussi penché vers l’écran et sa manette virevoltait entre ses mains diaphanes. – Tue-le tue-le tue-le, a dit Augustus. Les terroristes continuaient d’arriver par vagues. Gus et Isaac les fauchaient méthodiquement pour les empêcher de faire feu à l’intérieur du bâtiment. – Grenade ! Grenade ! a hurlé Augustus quand un objet a traversé l’écran, avant de rebondir contre la porte de l’école et de rouler au sol. De déception, Isaac a laissé tomber sa manette. – Si ces salauds n’arrivent pas à prendre d’otages, ils les tuent et nous mettent les meurtres sur le dos. – Couvre-moi ! a crié Augustus en surgissant de derrière le muret, puis il s’est élancé vers l’école. Isaac a repris sa manette à tâtons, puis il a tiré dans le tas. Une pluie de balles s’est abattue sur Augustus ; une première, puis une seconde l’ont touché sans qu’il arrête de courir pour autant. – MAX MAYHEM EST INVINCIBLE ! a hurlé Augustus. Grâce à une incroyable combinaison de touches, Augustus a plongé sur la grenade, qui s’est déclenchée sous lui. Son corps disloqué a explosé, se transformant en un geyser de sang, et l’écran est devenu tout rouge. Une voix gutturale a annoncé : « ÉCHEC DE LA MISSION », mais ce n’était pas l’avis d’Augustus, qui souriait en voyant ses restes éparpillés. Il a sorti son paquet de cigarettes -----------------------------------------------------Page 27-----------------------------------------------------  de sa poche, en a pris une et l’a glissée entre ses lèvres. – J’ai sauvé les gosses, a-t-il dit. – Provisoirement, ai-je fait remarquer. – On n’est jamais sauvés que provisoirement, a répliqué Augustus. Je leur ai fait gagner une minute. Mais c’est peut-être la minute qui leur fera gagner une heure, qui se trouve être l’heure qui leur fera gagner une année. Personne ne leur fera gagner l’éternité, Hazel Grace, mais ma vie leur a fait gagner une minute. Et ce n’est pas rien. – Ouah, d’accord, ai-je dit. Je te signale qu’on parle de pixels, là. Il a haussé les épaules. Comme si, en fait, il n’était pas sûr que le jeu ne soit pas réel. Isaac s’est remis à gémir. Augustus s’est aussitôt tourné vers lui. – On retente la mission, caporal ? Isaac a fait signe que non. Puis il s’est penché pour me voir. – Elle ne voulait pas le faire après, a-t-il expliqué, la gorge serrée. – Elle ne voulait pas larguer un aveugle ? ai-je demandé. Il a hoché la tête, ses larmes coulaient avec une régularité de métronome. – Elle pense qu’elle ne pourra pas le supporter. C’est moi qui vais perdre la vue, et c’est elle qui ne peut pas le supporter ! J’ai réfléchi au mot « supporter » et à toutes les choses insupportables qu’on supportait. – Je suis désolée, ai-je dit. Il a essuyé ses joues avec sa manche. Derrière ses verres de lunettes, ses yeux étaient tellement énormes qu’ils éclipsaient le reste de son visage. J’avais l’impression qu’il n’y avait plus que deux yeux désincarnés qui me regardaient, l’un vrai et l’autre faux, comme s’ils flottaient dans les airs. – C’est inacceptable, a-t-il affirmé. Totalement inacceptable. – À sa décharge, elle ne doit effectivement pas pouvoir le supporter. Toi non plus, sauf qu’elle, elle n’y est pas obligée, alors que toi, oui, ai-je dit. – Aujourd’hui, je n’arrêtais pas de lui répéter « toujours » et elle me coupait chaque fois la parole sans répondre « toujours ». Comme si je n’étais déjà plus là. « Toujours », c’était une promesse ! On n’a pas le droit de briser une promesse. – Parfois les gens ne comprennent pas les promesses qu’ils font au moment où ils les font, ai-je remarqué. Isaac m’a jeté un regard assassin. – Ça n’empêche pas de les tenir quoi qu’il arrive. C’est ça, l’amour. C’est tenir sa promesse quoi qu’il arrive. Tu ne crois pas au grand amour ? Je n’ai pas répondu. Je n’en savais rien. Mais j’ai pensé que, si le grand amour existait, c’était une excellente définition. – Moi, je crois au grand amour, a dit Isaac. Et je l’aime. Et elle a promis, elle m’a promis « toujours ». Il s’est levé et s’est avancé vers moi. Je me suis remise debout, persuadée qu’il voulait que je le prenne dans mes bras ou je ne sais quoi, mais il a fait demi-tour, comme s’il avait oublié pourquoi il s’était levé. Puis Augustus et moi avons vu la colère déformer ses traits. – Isaac, a dit Gus. – Quoi ? – Tu as l’air un peu… excuse-moi pour le double sens, mon pote, mais il y a quelque chose d’assez préoccupant dans tes yeux. Soudain, Isaac a shooté dans un des fauteuils, qui a reculé jusqu’au lit par bonds successifs. -----------------------------------------------------Page 28-----------------------------------------------------  – Et c’est parti, a dit Augustus. Isaac a poursuivi le siège en lui donnant des coups de pied. – OK ! a alors lancé Augustus. Fais-lui la peau, massacre-le ! Isaac a continué de se déchaîner sur le fauteuil jusqu’à ce que celui-ci rebondisse contre le lit. Puis il a pris un oreiller et a commencé à frapper le mur avec. Augustus s’est tourné vers moi, sa cigarette toujours à la bouche, et il m’a fait un petit sourire. – Je n’arrête pas de penser à ce livre. – C’est dingue, hein ? – Van Houten ne raconte vraiment pas ce qui arrive aux autres ? – Non. Isaac était toujours en train d’étouffer le mur avec l’oreiller. – Il s’est installé à Amsterdam. J’ai pensé qu’il allait écrire une suite sur Monsieur Tulipe, mais il n’a plus rien publié. Il ne donne jamais d’interviews et il n’est pas sur Internet non plus. Je lui ai écrit un paquet de lettres pour lui demander ce qui arrivait aux autres personnages, mais il ne m’a jamais répondu. Alors… Je me suis interrompue parce qu’Augustus n’avait pas l’air de m’écouter, il jetait des coups d’œil à Isaac. – Attends une seconde, m’a-t-il murmuré. Il s’est avancé vers Isaac et l’a pris par les épaules. – Mon pote, les oreillers, ça ne se casse pas. Essaie plutôt un truc qui se casse. Isaac s’est alors emparé d’un des trophées qui se trouvaient sur l’étagère et il l’a brandi au-dessus de sa tête comme pour demander la permission. – Oui, a dit Augustus. Oui ! Le trophée s’est écrasé sur le sol, les bras du joueur de basket en plastique se sont détachés de son corps, les mains toujours serrées autour du ballon. Isaac les a piétinés. – Oui ! a encore crié Augustus. Fais-lui sa fête ! Puis il s’est tourné vers moi. – Je cherchais un moyen de dire à mon père qu’en fait je déteste le basket, je crois qu’on vient juste de le trouver. Les trophées sont tombés les uns après les autres, Isaac les piétinait en hurlant. Augustus et moi assistions au déchaînement de violence à distance. Les corps mutilés des joueurs en plastique jonchaient la moquette : une balle rattrapée par une main sans corps par-ci, deux jambes en plein saut par-là. Isaac a continué à massacrer les trophées, haletant, transpirant, poussant des cris, puis il s’est effondré comme une masse sur les débris. Augustus s’est approché de lui. – Ça va mieux ? a-t-il demandé. – Non, a marmonné Isaac, hors d’haleine. – Le truc avec la souffrance, c’est qu’elle exige d’être ressentie, a acquiescé Augustus en me regardant.
Chapitre trois

J'ai lu Le Prix de l’aube jusque tard dans la nuit. (Attention, spoiler : le prix de l’aube, c’est le sang !) On était loin d’ Une impériale affliction , mais le personnage principal, le sergent-chef Max Mayhem, était assez attachant, même s’il dégommait cent dix-huit personnes en deux cent quatre- vingt-quatre pages.

Le lendemain, un jeudi, je me suis levée tard. Ma mère avait pour principe de ne jamais me réveiller, car une des missions du malade professionnel était de dormir beaucoup. Du coup, j’ai été plutôt surprise qu’elle vienne troubler mon sommeil en me touchant l’épaule.

– Il est presque 10 h, a-t-elle dit.

– Le sommeil aide à lutter contre le cancer. Et je me suis couchée tard pour finir un livre, ai-je

répondu.

– Il devait être passionnant, ce livre.

Elle s’est agenouillée au pied du lit et m’a débranchée du gros concentrateur d’oxygène rectangulaire que j’appelais Philip, parce qu’il avait une tête à s’appeler Philip. Puis elle m’a branchée sur une bombonne portable et m’a rappelé que j’avais cours. – C’est par ce garçon que tu l’as eu ? a-t-elle demandé tout à coup. – Quoi ? Tu parles de mon herpès ?

– Tu exagères, a dit ma mère. Le livre, Hazel. Je parle du livre. – Oui, c’est lui qui me l’a prêté.

– Je crois qu’il te plaît, a-t-elle dit en levant les sourcils, comme si seul l’instinct maternel pouvait

permettre une telle justesse d’observation.

J’ai haussé les épaules.

– Je t’avais dit que ce groupe de soutien valait le coup. – Tu as attendu près de l’église pendant toute la séance ?

– Oui. J’avais apporté de la paperasse. Bref, il est temps d’affronter ta journée, jeune fille. – Maman. Sommeil. Cancer. Lutter.

– Je sais, ma chérie, mais tu as cours. Et aujourd’hui, c’est…? dit-elle avec une joie non

dissimulée.

– Jeudi ?

– Ne me dis pas que tu as oublié ? – C’est bien possible.

– On est jeudi 29 mars ! a-t-elle hurlé, le visage illuminé par un sourire extatique.

– C’est génial que ça te rende aussi heureuse de savoir la date d’aujourd’hui ! ai-je hurlé à mon

tour.

– HAZEL ! C’EST TON TRENTE-TROISIÈME DEMI-ANNIVERSAIRE ! – Ohhhhhhhhhh ! me suis-je exclamée.

Pour ma mère, toute occasion de célébration était bonne à prendre. C’EST LA FÊTE DES ARBRES ! VITE, IL FAUT QU’ON AILLE SERRER LES MARRONNIERS DANS NOS BRAS ET QU’ON MANGE DES GÂTEAUX ! C’EST L’ANNIVERSAIRE DU JOUR OÙ CHRISTOPHE COLOMB A REFILÉ LA VARIOLE AUX AUTOCHTONES D’AMÉRIQUE ! FORMIDABLE ! JE T’EMMÈNE FAIRE UN PIQUE-NIQUE POUR FÊTER ÇA, ETC. – Alors je me souhaite un joyeux trente-troisième demi-anniversaire ! – Qu’est-ce que tu veux faire pour fêter cette journée ? a demandé ma mère.

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– Pulvériser le record mondial du nombre d’épisodes de Top Chef regardés à la suite ?

Maman a pris Bleu sur l’étagère au-dessus de mon lit. Je précise que Bleu est le nounours bleu que j’ai reçu pour mon premier anniversaire, un âge où personne ne voit d’inconvénient à ce que vous appeliez vos copains en fonction de la couleur de leur peau. – Tu n’as pas envie d’aller au cinéma avec Kaitlyn ou Matt ? Kaitlyn et Matt étaient mes amis. C’était une bonne idée.

– Pourquoi pas ? ai-je répondu. Je vais proposer à Kaitlyn d’aller au centre commercial après les

cours.

Maman a souri, le nounours serré contre son ventre.

– C’est toujours aussi sympa d’aller au centre commercial ?

– Je mets un point d’honneur à ne pas savoir ce qui est cool ou ce qui ne l’est pas, ai-je rétorqué.



J’ai envoyé un texto à Kaitlyn, j’ai pris une douche, puis je me suis habillée, et ma mère m’a accompagnée à la fac. J’avais un cours de littérature américaine sur Frederick Douglass dans un amphi aux trois quarts vide et j’avais du mal à garder les yeux ouverts. Au bout de quarante minutes de cours qui m’ont semblé durer le double, Kaitlyn m’a répondu.

Génial. Bon demi-anniversaire. Centre commercial à 15 h 32 ?

Kaitlyn avait une vie sociale très active qu’elle était obligée de programmer à la minute près. Ma

réponse :

Ça me va. Je serai à l’aire de restauration.

À la sortie des cours, ma mère m’a emmenée à la librairie du centre commercial, et j’ai acheté les deux tomes qui précédaient Le Prix de l’aube : Les Aubes de la nuit et Requiem pour Mayhem . Puis je me suis rendue à l’immense aire de restauration où j’ai commandé un Coca light. Il était 15 h 21. Je lisais, un œil sur les enfants qui jouaient dans le bateau pirate de l’aire de jeux. Deux gamins ne se lassaient pas de passer et de repasser dans un tunnel. Ils m’ont fait penser à Augustus Waters et son entraînement à haute teneur existentielle.

Maman était elle aussi dans l’aire de restauration, assise dans un coin où elle pensait que je ne la voyais pas. Elle mangeait un sandwich jambon-fromage en parcourant des papiers de nature médicale, sans aucun doute. Elle croulait sous la paperasse.

À 15 h 32 pile, j’ai aperçu Kaitlyn qui passait avec assurance devant le Wok House. Elle ne m’a vue qu’au moment où j’ai levé la main, et elle m’a souri. Elle avait des dents parfaitement alignées et d’un blanc éblouissant depuis qu’on lui avait retiré ses bagues. Elle est venue vers moi. Elle portait un manteau gris anthracite très bien coupé et des lunettes de soleil qui lui mangeaient le visage. Elle les a repoussées sur le haut de sa tête pour m’embrasser.

– Ma chérie, comment vas-tu ? m’a-t-elle demandé d’une voix à intonation vaguement british .

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Kaitlyn était une jeune anglaise, mondaine et sophistiquée, de vingt-cinq ans prisonnière du corps d’une Américaine de seize ans. C’est pourquoi tout le monde acceptait ses manières et son accent.

– Je vais bien. Et toi ?

– Je ne sais même plus. C’est du light ?

J’ai hoché la tête et lui ai tendu la canette. Elle en a bu une gorgée à la paille.

– Dommage que tu ne sois plus au lycée. Certains garçons sont devenus tout à fait comestibles . – Ah bon ? Qui ça ? ai-je demandé.

Elle a énuméré les noms de cinq types avec lesquels on avait été en primaire et au collège, mais je

n’ai pas réussi à mettre de visage sur leurs noms.

– Je sors avec Derek Wellington depuis quelque temps, mais ça ne va pas durer, a-t-elle annoncé.

Il est trop mec . Mais assez parlé de moi. Quoi de neuf du côté de chez Hazel ?

– Rien, ai-je répondu. – La santé, ça va ? – Pareil.

– Phalanxifor ! s’est-elle écriée, enthousiaste. Alors, tu vas vivre pour toujours ? – Peut-être pas pour toujours, ai-je dit. – Mais presque. Quoi d’autre ?

J’ai eu envie de lui dire que moi aussi je sortais avec un garçon. Enfin, que j’avais regardé un film avec un garçon. Parce que j’étais sûre qu’elle serait sidérée qu’une fille aussi mal fringuée, gauche et rachitique que moi puisse plaire à un garçon, ne serait-ce que brièvement. Mais je n’avais pas vraiment de quoi frimer, alors j’ai simplement haussé les épaules.

– Mon Dieu, mais qu’est-ce que c’est que ça ? a demandé Kaitlyn en montrant le livre. – De la science-fiction. J’accroche bien. C’est une série. – Là, tu m’inquiètes. On fait les boutiques ?

On est entrées dans un magasin de chaussures où Kaitlyn n’a pas arrêté de me choisir des sandales

plates à bouts ouverts.

– Elles seraient adorables sur toi, disait-elle.

Je me suis rappelé qu’elle ne portait jamais de chaussures à bouts ouverts parce qu’elle détestait ses pieds, elle prétendait que son deuxième orteil était trop long et qu’il dévoilait son âme ou je ne sais quoi. Quand, à mon tour, je lui ai montré une paire de sandales qui allaient très bien avec son teint, elle m’a répondu :

– Oui, mais…

Le « mais » sous-entendait : « Elles exposeraient mes orteils hideux aux yeux du monde entier. » – Kaitlyn, tu es la seule fille que je connaisse qui ait une dysmorphophobie de l’orteil. – Une quoi ?

– Tu sais, quand tu te regardes dans la glace et que tu vois autre chose que la réalité. – Oh, a-t-elle dit. Qu’est-ce que tu penses de celles-ci ?

Elle a brandi une paire de babies qui n’avaient rien d’extraordinaire. J’ai hoché la tête. Elle a trouvé sa taille et s’est mise à déambuler dans l’allée en regardant ses pieds dans les miroirs. Après quoi, elle a jeté son dévolu sur une paire de chaussures à talon assez vulgaires.

– C’est impossible de marcher avec des trucs pareils ! s’est-elle exclamée. Je crois que je

mourrais…

Elle s’est arrêtée au milieu de sa phrase et m’a regardée avec des yeux implorants, comme si

c’était un crime d’évoquer la « mort » en ma présence.

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– Tu devrais les essayer, a-t-elle continué pour dissimuler son malaise. – Je préférerais mourir, lui ai-je assuré.

J’ai fini par choisir une paire de tongs en plastique, histoire de prendre quelque chose, puis je suis allée m’asseoir sur un banc en face d’un présentoir et j’ai regardé Kaitlyn virevolter dans les allées. Elle faisait du shopping avec la même détermination, la même concentration, qu’un joueur d’échec professionnel. J’avais envie de sortir Les Aubes de la nuit et d’en lire un passage, mais ça aurait semblé vraiment malpoli, alors j’ai continué à observer Kaitlyn. De temps à autre, elle revenait vers moi en serrant une nouvelle trouvaille sur son cœur.

– Et ça ?

J’essayais chaque fois de trouver une remarque intelligente à faire sur les chaussures qu’elle me

présentait.

En fin de compte, elle a acheté trois paires, et moi mes tongs en plastique. – Fringues ? a-t-elle lancé quand on est sorties du magasin. – Je ferais mieux de rentrer. Je suis fatiguée, ai-je répondu.

– Bien sûr, je comprends, a-t-elle dit. Il faut qu’on se voie plus souvent, ma chérie.

Elle a posé ses mains sur mes épaules, m’a embrassée sur les deux joues et elle est partie en

balançant ses hanches étroites.

Sauf que je ne suis pas rentrée à la maison. J’avais demandé à Maman de venir me chercher à 18 h et, même si je me doutais qu’elle était quelque part dans le centre commercial ou sur le parking, j’avais envie de profiter des deux heures qui me restaient pour être seule.

J’aimais bien ma mère, mais, parfois, le fait qu’elle soit tout le temps dans les parages me rendait bizarrement nerveuse. J’aimais bien Kaitlyn aussi. Mais comme j’avais été retirée de la vie scolaire depuis trois ans, je sentais un gouffre infranchissable se creuser entre nous. Je sais que mes petits copains de classe avaient voulu m’aider à surmonter mon cancer, mais ils avaient fini par comprendre que ce n’était pas possible. Tout simplement parce que mon cancer ne « se surmontait » pas.

Alors j’ai prétexté la douleur et la fatigue, comme je l’avais souvent fait au cours des dernières années quand je voyais Kaitlyn ou un autre ancien camarade. À vrai dire, je souffrais tout le temps. Ça fait mal de ne pas pouvoir respirer comme une personne normale, d’être obligée de rappeler sans cesse à ses poumons de faire leur boulot de poumons, de se forcer à accepter qu’il n’y a rien à faire contre cette douleur déchirante qui entre et sort inlassablement de votre poitrine sous-oxygénée. Conclusion, je ne mentais pas vraiment. Je choisissais juste une vérité parmi d’autres.

J’ai trouvé un banc entre un magasin de souvenirs irlandais, une papeterie et un stand de casquettes de baseball, autant dire une zone du centre commercial où même Kaitlyn ne risquait pas de s’aventurer, et j’ai commencé à lire Les Aubes de la nuit .

La moyenne était d’environ un cadavre par phrase. J’ai dévoré le livre sans lever les yeux une seconde. J’aimais bien le sergent-chef Max Mayhem, même s’il n’avait pas de personnalité à proprement parler. Ce qui me plaisait par-dessus tout, c’était que ses aventures se succédaient à l’infini. Il y avait toujours plus de méchants à tuer et plus de gentils à sauver. De nouvelles guerres étaient déclarées avant même que les précédentes soient terminées. Cela faisait longtemps que je n’avais pas lu de séries, et j’étais contente de me replonger dans une histoire sans fin.

Il me restait vingt pages des Aubes de la nuit quand les choses ont commencé à se gâter pour Mayhem. Il avait pris dix-sept balles dans le corps en sauvant une otage (blonde, américaine) des griffes de l’ennemi. Mais en tant que lectrice, je n’étais pas inquiète. La guerre pouvait se poursuivre sans lui. Il y avait fort à parier que de nouveaux tomes mettraient en scène ses camarades : l’expert

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Manny Loco, le soldat Jasper Jacks et les autres.

J’avais presque terminé quand une petite fille avec des nattes a surgi devant moi. – T’as quoi dans le nez ? m’a-t-elle demandé.

– Ça s’appelle une canule, ai-je répondu. C’est un tube qui m’apporte de l’oxygène et qui m’aide à

respirer.

Sa mère s’est précipitée sur elle.

– Jackie ! s’est-elle écriée d’un ton réprobateur.

– Tout va bien, elle ne me dérange pas, ai-je dit parce que c’était vrai. – Ça m’aiderait à respirer, moi aussi ? a demandé Jackie. – Je n’en sais rien. On n’a qu’à essayer.

J’ai retiré la canule de mes narines et laissé Jackie la mettre dans son nez et respirer. – Ça chatouille, a-t-elle déclaré. – Je sais. Ça va ?

– Je respire mieux, on dirait, a-t-elle annoncé. – C’est vrai ? – Oui.

– J’adorerais pouvoir te donner ma canule, mais j’en ai vraiment besoin.

Je commençais déjà à sentir le manque d’oxygène. Je me suis concentrée sur ma respiration et j’ai repris la canule des mains de Jackie. Je l’ai essuyée sur mon T-shirt, j’ai fait passer les tubes derrière mes oreilles et j’ai remis les embouts en place.

– Merci de m’avoir laissée essayer, a dit Jackie. – De rien.

– Jackie ! a appelé sa mère, et cette fois je l’ai laissée partir.

Je me suis replongée dans ma lecture, c’était le moment où le sergent-chef Max Mayhem regrettait de n’avoir qu’une seule vie à offrir à son pays. Pourtant je ne pouvais pas m’empêcher de repenser à la petite fille, je l’avais vraiment trouvée chouette.

L’autre inconvénient avec Kaitlyn, c’était que je ne pouvais plus avoir de conversation normale avec elle. Chaque fois que j’essayais, ça me déprimait. Je ne pouvais pas ne pas voir que toutes les personnes à qui je parlais se sentaient mal à l’aise en ma présence, à part peut-être les enfants comme Jackie qui restaient spontanés, et que ça serait comme ça jusqu’à la fin de ma vie.

Bref, j’aimais être toute seule, seule avec ce pauvre sergent-chef Max Mayhem, qui… non, il

n’allait quand même pas s’en sortir avec dix-sept balles dans le corps ?

(Attention, spoiler : il survit.)
Chapitre deux

Augustus Waters conduisait comme un pied. S’arrêter, démarrer, tout se faisait dans une énorme SECOUSSE. Je volais vers l’avant de son 4 × 4 Toyota à chaque coup de frein et ma nuque basculait vers l’arrière à chaque coup d’accélérateur. J’aurais pu être inquiète : après tout, j’étais dans la voiture d’un type bizarre et on allait chez lui. Autant dire que ce n’était pas avec mes poumons hors service que j’allais repousser d’éventuelles avances non désirées. Mais Augustus Waters conduisait tellement mal que je ne pensais à rien d’autre.

On devait avoir parcouru plus d’un kilomètre dans un silence en dents de scie quand Augustus a

dit :

– J’ai raté trois fois mon permis. – Sans blague.

Il a ri et a hoché la tête.

– Je ne sens pas la pression avec cette bonne vieille prothèse et je n’arrive pas à conduire du pied gauche. Mes médecins prétendent que la plupart des amputés n’ont pas de problème pour conduire. En tout cas, moi, si. Bref, je l’ai passé une quatrième fois et ça s’est passé un peu comme maintenant. À cinq cents mètres devant nous, le feu est passé au rouge. Augustus a pilé net et j’ai été projetée

dans les bras de la ceinture de sécurité.

– Désolé. Je te jure que je fais tout ce que je peux pour conduire en douceur. Donc, à la fin de l’examen, j’étais persuadé d’avoir encore échoué, mais le moniteur m’a dit : « Votre conduite est plutôt désagréable, mais elle n’est pas dangereuse. »

– Je ne suis pas tout à fait d’accord avec lui, ai-je dit. Ça sent le bon vieux cadeau cancer, ton truc. Les cadeaux cancer sont ces petits privilèges que seuls les gamins atteints d’un cancer obtiennent : un ballon de basket dédicacé par un grand sportif, pas de punition pour les devoirs rendus en retard, un permis de conduire qui n’est pas mérité, etc.

– C’est possible, a-t-il admis.

Le feu est passé au vert. Je me suis préparée. Augustus a écrasé le champignon.

– Il existe des commandes manuelles pour les gens qui ne peuvent pas se servir de leurs jambes,

lui ai-je fait remarquer.

– Oui, un jour peut-être, a-t-il répondu.

Et dans le soupir qu’il a poussé juste après, j’ai senti un doute quant à l’avènement de ce « un

jour ». L’ostéosarcome se soigne très bien, mais quand même.

Il existe plusieurs façons de mesurer les attentes d’un individu en matière de survie sans avoir à

poser la question directement. J’ai opté pour le classique :

– Et sinon, tu vas au lycée ?

La plupart du temps, s’ils ont de bonnes raisons de penser que vous allez y passer, les parents vous

retirent du système scolaire.

– Oui, a-t-il répondu. À North Central. Mais, j’ai un an de retard, je suis en seconde. Et toi ? J’ai envisagé de lui mentir. Personne n’aime les macchabées. Mais je lui ai dit la vérité. – Non, je ne vais plus à l’école depuis trois ans. – Trois ans ? a-t-il demandé, sidéré.

Je lui ai raconté dans les grandes lignes l’histoire de mon miracle : cancer de la thyroïde stade 4 diagnostiqué à l’âge de treize ans (je n’ai pas précisé que le diagnostic était tombé trois mois après mes premières règles. En mode : Bravo ! Tu es une femme. Maintenant, meurs), cancer déclaré
 incurable.

J’avais subi une opération appelée « dissection radicale du cou », à peu près aussi agréable que son nom l’indique. Puis on m’avait fait une radiothérapie, et ensuite une chimio pour les tumeurs aux poumons. Les tumeurs ont rétréci, puis augmenté. Là, j’avais quatorze ans. Ensuite mes poumons se sont mis à se remplir d’eau. J’avais l’air d’une vraie morte : les pieds et les mains enflés, la peau crevassée, les lèvres bleues en permanence. Je recevais par cathéter des litres d’un médicament qui m’empêchait d’être trop paniquée par le fait que je ne puisse pas respirer, plus une douzaine d’autres. Mais même avec ça, l’impression de se noyer reste super désagréable, surtout quand elle dure pendant des mois. J’ai finalement atterri en soins intensifs avec une pneumonie, et ma mère agenouillée au pied de mon lit qui me disait : « Tu es prête, mon cœur ? » ; moi qui répondais « oui » ; mon père qui me répétait qu’il m’aimait d’une voix brisée ; moi qui lui disais que je l’aimais aussi ; tout le monde qui se tenait la main ; moi qui ne trouvais plus ma respiration ; mes poumons qui puisaient dans leurs dernières forces, suffoquaient, me tiraient du lit pour que je trouve une position susceptible de leur insuffler de l’air ; moi qui avais honte qu’ils s’accrochent, qui étais écœurée qu’ils ne lâchent pas prise. Je me rappelle ma mère m’assurant que tout allait bien, que c’était bien, que je serai bien, mon père se retenant comme un fou de ne pas éclater en sanglots et qui avait fini par le faire plus d’une fois, dans des proportions cataclysmiques. Je me rappelle que j’aurais préféré ne pas être consciente.

Tout le monde me croyait condamnée, mais le docteur Maria, ma cancérologue, avait réussi à retirer du liquide de mes poumons et, peu de temps après, les antibiotiques prescrits pour la pneumonie avaient fait effet.

Je m’étais alors vite retrouvée dans un de ces programmes réputés dans la république de Cancervania pour ne jamais marcher. Le médicament en question s’appelait Phalanxifor, une molécule conçue pour se fixer sur les cellules cancéreuses et ralentir leur progression. Sur soixante- dix pour cent des malades, le traitement ne donnait rien. Sur moi, il a donné quelque chose. Les tumeurs ont rétréci.

Et elles sont restées petites. Vive le Phalanxifor ! Au cours des dix-huit derniers mois, mes métastases n’avaient pas évolué, mes poumons étaient toujours hors service, mais, grâce à l’oxygène et à ma prise quotidienne de Phalanxifor, il n’était pas impossible qu’ils résistent ad vitam aeternam . En réalité, ce miracle n’avait fait que m’accorder un délai supplémentaire (dont j’ignorais encore la durée). Mais pour Augustus Waters, j’avais préféré dresser un tableau idyllique, ajouter du miracle au miracle.

– Alors maintenant il faut que tu retournes au lycée, a-t-il dit.

– Je ne peux pas, ai-je expliqué, j’ai déjà mon bac. Je suis des cours à MCC. C’était la fac de la région.

– Une étudiante, a-t-il dit en hochant la tête. Ça explique ce mélange de raffinement et de maturité. Il m’a décoché un sourire, et je lui ai donné un petit coup dans le bras pour rire. J’ai senti ses

muscles sous son polo.

On a tourné sur les chapeaux de roues devant l’entrée d’une résidence protégée par des murs de plus de deux mètres cinquante de haut. Sa maison, d’inspiration coloniale, était la première sur la gauche. On s’est garés dans l’allée en faisant une embardée.

J’ai suivi Augustus à l’intérieur. Dans l’entrée, une plaque de bois portait une inscription gravée en lettres manuscrites : « Le vrai foyer est là où se trouve le cœur. » En fait, toutes les pièces étaient agrémentées de maximes du même ordre. Sous un dessin accroché au-dessus des patères, on pouvait lire : « Les bons amis sont difficiles à trouver et impossibles à oublier. » « Le grand amour naît des


temps difficiles », assurait un coussin brodé au point de croix dans le salon garni de meubles anciens. Augustus m’a surprise en train de les lire.

– Mes parents appellent ça des Encouragements, a-t-il expliqué. Il y en a dans toute la maison.

Ses parents l’appelaient Gus. Ils étaient dans la cuisine en train de préparer des enchiladas (à côté de l’évier, un bloc de verre teinté annonçait en grosses lettres rondes : « La famille, c’est pour la vie »). Sa mère garnissait des tortillas de poulet que son père roulait, puis plaçait dans un plat transparent. Mon arrivée n’a pas semblé les surprendre. Mais après tout, ce n’était pas parce qu’Augustus me donnait l’impression d’être spéciale pour lui que je l’étais forcément. Peut-être ramenait-il une nouvelle fille chez lui tous les soirs pour lui montrer des films et la peloter.

– Voici Hazel Grace, a-t-il dit en guise de présentations. – Hazel tout court, ai-je précisé.

– Comment ça va, Hazel ? a demandé le père de Gus.

Il était grand, presque aussi grand que Gus, et maigre. Ce qui n’est pas courant chez les pères. – Bien, ai-je répondu.

– Comment s’est passé le groupe de soutien d’Isaac ? – Du délire, a dit Gus.

– Tu es vraiment un rabat-joie, s’est moquée sa mère. Et toi, Hazel, ça t’a plu ?

J’ai réfléchi une seconde, je ne savais pas si je devais concocter une réponse susceptible de plaire

à Augustus ou une réponse susceptible de plaire à ses parents.

– La plupart des gens sont sympas, ai-je fini par dire.

– C’est exactement ce que nous avons pensé des familles à Memorial au plus fort du traitement de Gus, a dit le père. Tout le monde était si gentil, si fort aussi. Aux heures les plus sombres, le Seigneur met toujours les bonnes personnes sur notre route.

– Vite, donnez-moi un coussin et du fil, on tient un super Encouragement ! a lancé Augustus, puis, voyant que son père avait l’air contrarié, il lui a entouré les épaules de son long bras. Je plaisante, papa. J’adore les Encouragements, je te jure. Mais, comme je suis un ado, je ne peux décemment pas avouer un truc pareil.

Son père a levé les yeux au ciel.

– Tu restes dîner avec nous, j’espère ? m’a demandé sa mère, une petite femme brune, un peu

effacée.

– Je crois, ai-je répondu. Mais il faut que je sois rentrée à 22 h. Et, euh, je ne mange pas de viande. – Pas de problème. On te fera quelque chose avec des légumes, a-t-elle dit. – C’est parce que les animaux sont trop mignons ? a demandé Gus.

– Je préfère réduire au minimum le nombre de morts dont je suis responsable, ai-je expliqué. Gus a ouvert la bouche pour répondre, puis il s’est ravisé. Sa mère a comblé le silence. – Je trouve ça merveilleux.

Ses parents m’ont ensuite raconté que les enchiladas étaient leur spécialité, que Gus devait lui aussi rentrer à 22 h le soir, qu’ils se méfiaient d’ailleurs des parents qui autorisaient leurs enfants à rentrer après 22 h, puis ils m’ont demandé si j’étais au lycée. Non, j’étais étudiante, a précisé Augustus. Ils ont enchaîné en disant que le temps était vraiment splendide pour un mois de mars, au printemps, tout se renouvelait. Et ils ne m’ont posé aucune question ni sur ma bombonne d’oxygène ni sur ma maladie, c’était à la fois étrange et formidable. Puis Augustus a déclaré :

– On va regarder V pour Vendetta avec Hazel. Comme ça, elle pourra voir son double

cinématographique, la Natalie Portman du milieu des années 2000.


– La télé du salon est à votre disposition, a dit son père d’un ton joyeux. – Je préférerais qu’on regarde le film en bas. Son père a éclaté de rire.

– Bien essayé, mais c’est non.

– J’aimerais bien faire visiter le sous-sol à Hazel Grace, a répliqué Augustus. – Hazel-tout-court, ai-je précisé.

– Eh bien, fais visiter le sous-sol à Hazel-tout-court, a dit son père. Et ensuite, vous remonterez

voir le film au salon.

Augustus a soupiré, pris appui sur sa jambe valide, fait pivoter ses hanches et balancé sa prothèse

en avant.

– D’accord, a-t-il marmonné.

Je l’ai suivi dans l’escalier moquetté qui descendait à une chambre gigantesque. Une étagère courait tout autour de la pièce, surchargée de récompenses et autres souvenirs de basket : des trophées surmontés de joueurs en plastique doré immortalisés dans toutes les positions, en train de tirer, de dribbler, de sauter vers un panier invisible, sans compter d’innombrables ballons et chaussures de sport.

– Je jouais au basket, a-t-il expliqué. – Tu devais plutôt bien te débrouiller.

– Je n’étais pas mauvais, mais les chaussures et les ballons sont des cadeaux cancer.

Il est allé jusqu’à la télé au pied de laquelle des dizaines de DVD et de jeux vidéo formaient une

sorte de pyramide. Il s’est plié en deux et a attrapé V pour Vendetta .

– J’étais le sportif dans toute sa splendeur. Je rêvais de redonner ses lettres de noblesse à l’art perdu du tir à mi-distance. Et puis, un jour, dans le gymnase du lycée, je faisais des lancers quand, tout à coup, je n’ai plus su pourquoi je balançais une sphère dans un anneau. J’ai trouvé ça complètement stupide. Ça m’a fait penser aux enfants qui mettent un objet de forme géométrique dans une découpe de même forme et ne peuvent plus s’arrêter une fois qu’ils ont compris comment ça marche. Le basket, c’était pareil, en plus sportif. Mais j’ai quand même continué à faire des lancers. J’en ai réussi quatre-vingts d’affilée, mon record absolu. Et, pourtant, plus je marquais, plus j’avais l’impression d’avoir deux ans. Ensuite, va savoir pourquoi, j’ai pensé aux coureurs de haies. Ça va ? Je m’étais assise au bord de son lit défait. Pas pour lui donner des idées, mais parce que je fatiguais vite. J’étais restée debout dans le salon, puis j’avais descendu l’escalier, puis j’étais encore restée debout. Ça faisait beaucoup. Et je n’avais aucune envie de m’évanouir. Côté évanouissement, j’étais plutôt du style théâtral.

– Oui, ai-je répondu. Je t’écoutais. Les coureurs de haies ?

– Oui, les coureurs de haies. J’ai pensé à leur course semée d’obstacles. Est-ce qu’ils se

demandaient parfois : « Ça n’irait pas plus vite si on enlevait les haies ? »

– C’était avant le diagnostic ? ai-je demandé.

– Hum, disons, plutôt au même moment, a-t-il avoué avec un sourire en coin. Le jour de cet entraînement à haute teneur existentielle se trouve étrangement être aussi mon dernier jour sur deux jambes. Je n’ai eu qu’un week-end entre l’annonce de mon amputation et le jour où elle a eu lieu. J’ai un petit aperçu de ce qu’Isaac est en train de vivre.

J’ai acquiescé. Augustus Waters me plaisait. Il me plaisait vraiment, vraiment beaucoup. Le fait qu’il termine son histoire par quelqu’un d’autre me plaisait. Sa voix me plaisait. Qu’il fasse des « entraînements à haute teneur existentielle » me plaisait. Qu’il soit professeur titulaire de la chaire du Sourire en coin et de celle de la Voix qui fait frissonner ma peau me plaisait. Qu’il ait deux noms


me plaisait. J’ai toujours aimé les gens qui ont deux noms parce que cela vous oblige à choisir : Gus ou Augustus ? Moi, je n’ai jamais été qu’Hazel, point.

– Tu as des frères et sœurs ? ai-je demandé. – Hein ? a-t-il répondu d’un air distrait.

– Tu disais que tu regardais jouer les enfants.

– Ah oui. Non. J’ai des neveux, les enfants de mes demi-sœurs. Mais elles sont beaucoup plus âgées que moi. Elles ont genre… PAPA, ELLES ONT QUEL ÂGE JULIE ET MARTHA ? a-t-il crié.

– Vingt-huit ans !

– Elles ont vingt-huit ans. Elles habitent Chicago. Elles se sont toutes les deux mariées avec un super avocat ou un super banquier. Je ne me rappelle pas. Et toi, tu as des frères et des sœurs ?

J’ai secoué la tête.

– C’est quoi, ton histoire, alors ? a-t-il demandé en s’asseyant à côté de moi, mais à une distance

raisonnable.

– Je te l’ai déjà racontée. J’ai été diagnostiquée à…

– Non, pas l’histoire de ton cancer. Ton histoire ! Centres d’intérêt, loisirs, passions, fétichismes

bizarres, etc.

– Hum.

– Ne me dis pas que tu fais partie de ces gens qui deviennent leur maladie. J’en connais plein. C’est désespérant. C’est la grande spécialité du cancer d’engloutir les gens. Mais je suis sûr que tu ne l’as pas déjà laissé te faire ça.

En fait, c’était peut-être le cas. Je me suis creusé la tête pour trouver comment me décrire à Augustus Waters, quels traits de ma personnalité mettre en valeur, et dans le silence qui a suivi, je me suis rendu compte que je n’étais pas intéressante du tout.

– Je n’ai rien de spécial.

– Je réfute ça d’emblée. Pense à quelque chose que tu aimes. Dis le premier truc qui te passe par la

tête.

– Hum. La lecture.

– Qu’est-ce que tu lis ?

– De tout. Du roman d’amour immonde au roman prétentieux en passant par la poésie. N’importe

quoi, en fait.

– Tu écris des poèmes ? – Non.

– Voilà ! a presque crié Augustus. Hazel Grace, tu es la seule adolescente d’Amérique qui préfère lire de la poésie plutôt que d’en écrire. C’est très révélateur. Je suis sûr que tu lis plein de livres géniaux.

– Possible.

– Lequel tu préfères ? – Hum.

Mon livre préféré, et de loin, était Une impériale affliction , mais je n’aimais pas en parler. Il arrive qu’à la lecture de certains livres on soit pris d’un prosélytisme étrange, tout à coup persuadé que le monde ne pourra tourner rond que lorsque tous les êtres humains jusqu’au dernier auront lu le livre en question. Et puis, il existe des livres, comme Une impériale affliction , des livres particuliers, rares et personnels, pour lesquels on ne peut pas manifester son attachement sans avoir l’impression de les trahir.

Ce livre n’était même pas un chef-d’œuvre. Il se trouvait juste que l’auteur, Peter Van Houten,


semblait me comprendre d’une manière inexplicable. Une impériale affliction était mon livre, au même titre que mon corps était mon corps, mes pensées étaient mes pensées.

Je l’ai quand même dit à Augustus.

– Mon livre préféré est Une impériale affliction . – Il y a des zombies ? a-t-il demandé. – Non.

– Des soldats de l’Empire galactique ? J’ai secoué la tête.

– Ce n’est pas ce genre de livre. Il a souri.

– Je vais lire ce livre qui a le titre le plus ennuyeux du monde et dans lequel il n’y a même pas de

soldats de l’Empire galactique, a-t-il promis.

J’ai regretté aussitôt de lui en avoir parlé. Augustus s’est tourné vers le tas de livres au pied de sa

table de nuit. Il en a pris un et il a écrit quelque chose sur la page de garde.

– Tout ce que je te demande en échange, c’est de lire celui-ci, il s’agit de la fascinante

novélisation de mon jeu vidéo préféré.

J’ai rigolé et j’ai pris le livre qu’il me tendait, intitulé Le Prix de l’aube . Dans le feu de l’action,

nos mains se sont maladroitement rencontrées, et il a saisi la mienne.

– Froid, a-t-il dit en appuyant un doigt sur mon poignet livide. – Plutôt sous-oxygéné.

– J’adore quand tu utilises des termes techniques, a-t-il dit.

Il s’est levé, m’a aidée à me remettre debout et n’a pas lâché ma main jusqu’au bas de l’escalier.



On a regardé V pour Vendetta sur le canapé, à bonne distance l’un de l’autre. J’ai fait le truc préféré des collégiennes : poser la main entre nous deux pour lui faire comprendre que je ne voyais pas d’inconvénient à ce qu’il la prenne, mais il n’a pas essayé. Au bout d’une heure de film, les parents d’Augustus sont venus nous apporter des enchiladas que nous avons mangées sur le canapé, elles étaient délicieuses.

V pour Vendetta racontait l’histoire d’un type héroïque qui portait un masque sur la figure et mourait de façon héroïque pour les beaux yeux de Natalie Portman. Cette dernière jouait le rôle d’une vraie casse-cou hyper sexy. Autant dire que je ne lui ressemblais pas du tout avec ma tête bouffie par les corticoïdes.

– Super, non ? a demandé Augustus quand le générique a défilé.

– Super, ai-je confirmé, bien que j’aie pensé le contraire. Il faut que je rentre. J’ai cours demain,

ai-je ajouté.

Je suis restée sur le canapé le temps qu’Augustus retrouve ses clefs. Sa mère s’est assise à côté de

moi.

– J’adore celui-ci, pas toi ?


Je devais avoir le regard posé sur le dessin d’un ange qui surplombait la télé et qui était agrémenté

de l’Encouragement suivant : « Sans souffrance, comment connaître la joie ? »

(Un point de vue que j’avais toujours trouvé d’une stupidité et d’un manque de finesse inouïs. Pour le démontrer, il suffisait de dire que, même si le brocoli existait, ça n’empêchait pas le chocolat d’être bon.)

– Oui, ai-je répondu. Une bien belle pensée.

C’est moi qui ai conduit la voiture d’Augustus au retour. Il m’a fait écouter plusieurs morceaux, excellents d’ailleurs, d’un groupe qui s’appelle The Hectic Glow, mais je ne les ai pas autant appréciés que lui, pour la simple et bonne raison que je ne les connaissais pas encore. Je n’arrêtais pas de lancer des coups d’œil vers sa jambe, ou plutôt vers l’endroit où elle aurait dû se trouver, et j’essayais d’imaginer à quoi ressemblait la fausse. J’aurais préféré que ça ne me dérange pas de savoir qu’il avait une prothèse, mais en fait, ça me mettait un peu mal à l’aise. Lui aussi devait être gêné par mes tubes et ma bombonne d’oxygène. La maladie est repoussante. Je l’avais compris depuis longtemps, et il y avait fort à parier qu’Augustus l’avait compris également.

Je me suis garée devant chez moi et il a éteint la musique. L’atmosphère est devenue pesante. Il pensait peut-être à m’embrasser. En tout cas, moi, j’y pensais, même si je n’étais pas sûre d’en avoir envie. J’avais déjà embrassé des garçons, mais c’était avant.

J’ai coupé le moteur et je me suis tournée vers lui. Il était très beau.

– Hazel Grace, a-t-il dit, mon nom paraissait plus joli, comme neuf dans sa bouche. Je suis très

content d’avoir fait ta connaissance.

– De même, Monsieur Waters.

J’étais intimidée. Je ne pouvais soutenir l’intensité de son regard bleu azur.

– Je peux te revoir ? a-t-il demandé d’un ton qui trahissait une inquiétude charmante. J’ai souri. – Bien sûr. – Demain ?

– Attention, ai-je rétorqué. Tu risques de passer pour un impatient.

– C’est pour ça que j’ai dit demain, a-t-il répliqué. J’ai déjà envie de te revoir maintenant. Mais je

vais m’obliger à attendre toute la nuit et une bonne partie de la journée de demain .

J’ai levé les yeux au ciel.

– Je ne blague pas, a-t-il insisté. – Tu ne me connais même pas.

J’ai pris le livre qu’il avait calé entre les deux sièges. – Et si je t’appelais quand j’ai fini ça ? ai-je proposé. – Tu n’as pas mon numéro.

– Je te soupçonne fortement de l’avoir écrit dans ce livre. Il s’est fendu de son sourire béat.

– Et tu oses dire qu’on ne se connaît pas.